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Les écrits de Gérigé

Western spaghetti avec du saucisson

25 Octobre 2017, 08:54am

Publié par Gérigé

Toute ressemblance avec un cow-boy solitaire et inconnu est tout à fait non fortuite...

Western spaghetti avec du saucisson

 

Pas un nuage n'ose troubler le ciel bleu azur. Le soleil est au zénith et la température avoisine les 40 °C. Dans la plaine du Rio Rhôna le vent soulève des tourbillons de poussière. Dès qu'on s'éloigne du cours d'eau où seul un frêle filet subsiste, la végétation se raréfie jusqu'au pied des montagnes. C'est le royaume des lézards, des serpents à sonnette et des coyotes. Ici, l'homme ne fait que passer. C'est ce qu'il a fait en masse vers 1840 quand un péquenaud a trouvé une pépite en plein milieu de nulle part. Maintenant, trente-cinq ans plus tard, il a presque rendu la région aussi désertique qu'avant son passage depuis qu'un autre péquenaud a déniché de l'or soixante kilomètres plus au sud. Gold city n'abrite plus que quelques hurluberlus, vieillards, fermiers et surtout bandits de passage en tout genre.

Un cavalier avance au pas vers la ville. A cette allure il y sera rendu d'ici la tombée de la nuit. Il a la tête baissée sous son sombrero et attifé d'un poncho qui cache ses bras, on pourrait croire qu'il dort ou même que c'est un macchabée ambulant qui traverse le royaume des morts. Seul son cigarillo qu'il mâchouille et qui bouge de temps en temps nous indique qu'il est conscient. Il est même parfaitement lucide, économisant son énergie et réfléchissant à sa prochaine prime : 3 000 $ pour le Chinois, mort ou vif. Voilà huit jours qu'il le traque et il finira par le coincer, à Gold city ou ailleurs.

Bobby Nose avec son gros pif et ses lèvres pendantes, ronfle comme le train de Yuma qui arrive en gare. Il est allongé à l'ombre dans la grange de Sergio, son patron. Bobby est en plein sommeil paradoxal. Il rêve de la grosse Lydie. Elle lui dit des mots doux et ça lui plaît. « Ça te dirait si j'enlevais tes bottes ? », bien sûr que ça lui dirait. « Vas-y, te gêne pas Lydie. » Lentement, délicatement, elle s'exécute. Bob se sent libéré d'un poids. C'est bon d'avoir les pieds à l'air. Depuis combien de temps n'a-t-il pas ôté ses bottes ? Il ne s'en souvient plus. Oui, ça fait du bien et il tachera de les enlever plus souvent, pendant la sieste. « T'as les orteils qui dépassent » dit-elle en couinant comme une porcasse, « Je vais t'les enlever va, mon grand dadais.

– Si tu veux Lydie, t'as toujours de bonnes idées. »

Il sent un souffle chaud sur son pied gauche. Lydie lui mordille les orteils et essaie de lui retirer les chaussettes avec les dents. Elle s'y prend mal et n'y arrive pas. Elle bave sur ses doigts de pied et le mordille un peu plus fort. « Aïe, fais attention Lydie, soit délicate avec moi. » Mais au lieu de se calmer, elle accélère la cadence en s'en prenant à son pied droit. Elle bave beaucoup, mordille de plus en plus fort et n'arrête pas de ricaner. « dis donc tes chaussettes sont vachement accrochées à tes panards ! Comment qu't'as fait pour les enfiler ? » Et alors qu'il s'apprête à lui répondre qu'il a jamais porté de chaussettes, il ressent une douleur intense qui provient de ses deux pieds en même temps. Ça l'extirpe de son sommeil. Bobby se redresse en hurlant et les cochons de Sergio qui lui mastiquaient les orteils s'enfuient en grouinant. « Putain de saucisselards sur pattes ! J'm'en vais vous découenner la peau ! ». Il tente de se mettre debout sur ses guiboles mais il retombe aussi sec. La douleur revient beaucoup plus forte. Bob regarde ses pieds. Il a des morceaux de saucisson sec coincés entre les orteils, la peau arrachée et il pisse le sang. « Eh ! Gringo ? lance un type derrière lui, tu veux encore du saucisson ? » et il éclate de rire comme ses deux acolytes qui sont vautrés dans la paille.

À cette époque il n'existait que deux types de gars dans l'ouest : ceux qui savaient lire et écrire et ceux qui ne savaient pas. Parmi cette dernière catégorie la plupart signaient d'une croix tout document quand ils y étaient obligés. Quelques autres arrivaient plus ou moins à tracer leurs initiales. John McLeigh était un gringalet sec et nerveux. A vingt-quatre ans il avait déjà passé un tiers de sa vie en prison pour vols et tentative de meurtre. Quand il dut signer l'arrêté précisant bien que c'était lui qui était jugé au tribunal, il avait voulu faire son malin en écrivant ses initiales. « Qu'est-ce que c'est que ça ?, avait dit le juge, on dirait du chinois ! 

– C'est ça monsieur le juge. C'est du chinois. » avait-il répondu en ricanant comme une hyène. John avait toujours été un peu fêlé. Le geôlier l'avait attrapé par le cou et lui avait dit « Ferme ta grande gueule le Chinois et avance ». Durant sa dernière année de prison il avait perfectionné sa signature et bien qu'il n'ait jamais lu du chinois ni même rencontré un seul asiatique de sa vie, son idéogramme avait de la gueule. La première chose qu'il fit en sortant de prison fut de se le faire tatouer sur le cou ce qui le rendait dorénavant parfaitement identifiable.

Le Mexicain et Snake sont les deux compagnons du Chinois. Snake est un Sioux. Il n'a plus de langue depuis qu'on lui a coupée. Il n'est pas bavard ce qui ne déplaît pas au Chinois, par contre il n'arrête pas de siffler comme un serpent quand il communique avec le Mexicain. Le Chinois n'y comprend rien même après trois mois de vie commune. Mais ce n'est pas grave. C'est lui le chef et les deux autres n'ont jamais rien à redire. Quant au Mexicain… et bien, il est Mexicain et ça suffit.

Le chasseur de prime relève la tête à l'instant où il entre dans la ville. Son regard perçant scrute les environs alors qu'il emprunte la rue principale. Sur la droite au fond il a repéré le saloon. La ville paraît déserte, hormis un chien qui dort sous un escalier. Il s'avance au trot, des virevoltants traversent la rue devant lui. La plupart des devantures des magasins et des habitations sont délabrées. Gold city ressemble à une ville abandonnée. Il descend de sa monture juste devant le saloon, attache son cheval qui s'empresse de se désaltérer dans l'abreuvoir. Malgré le bruit du vent on perçoit la musique d'un piano à l'intérieur. L'homme pousse les battants du saloon, la musique s'arrête. Quatre paires d'yeux le dévisagent, ceux du barman, du pianiste et de deux joueurs de poker assis à une table. Il les juge inoffensifs alors il se dirige lentement vers le bar et commande une bière. La musique reprend tandis que les joueurs se replongent dans leurs cartes. Lorsque le barman le sert, le chasseur de prime lui montre une affiche du Chinois. « Dis-moi, as-tu déjà vu cette tête par ici ? ». « Non, ça m'dis rien ! Il n'est pas du coin. Ici tout le monde connaît tout le monde et ça fait un mois qu'on n'a pas vu de nouvelle tête. Et cette tête-là, c'est pas celle du gars qu'est venu il y a un mois. ». Le chasseur de prime sirote sa bière en l'écoutant. « Dis donc, j'ai vu personne en arrivant. Ils font la sieste dans ton pays ? » « La sieste ? Tu parles… La plupart sont partis dans le sud pour trouver de l'or et les autres cinglés qui sont restés sont dans leur mine. Ils viennent de temps en temps le soir après le coucher du soleil. Si ça continue moi aussi je vais plier bagage.  Les affaires marchent plus. Regarde derrière toi. A part ces deux clients réguliers, il n'y a plus personne. » Sur le mur derrière le bar, à côté des bouteilles de whisky, l'homme lorgne sur des cigarillos accrochés à un clou par des ficelles. « Tu pourrais me loger pour la nuit ? ». « C'est pas la place qui manque. Toutes les chambres sont libres, tu peux choisir celle qui te plaît » « J'prendrai celle qui a la meilleure vue sur la rue et tu me donneras également cinq cigarillos » dit-il en les pointant du doigt. Le barman se retourne et se met à se fendre la poire d'un rire bien gras. « Des cigarillos ? » répond-il dans son fou-rire. « Vous avez entendu vous autres ? Il veut des cigarillos !!! » Et les cinq hommes se tordent de rire devant le chasseur de prime qui grimace. « M'en veux pas l'ami. » finit par dire le barman. C'est pas des cigarillos, mais du saucisson. « Du saucisson ? Qu'est-ce que c'est que ça du saucisson ? » « C'est du porc séché. C'est une spécialité du coin. Il vient de chez Sergio ». « Eh, bien ! Donne-m'en un quand même que j'goûte. ».

Un bruit sourd grandit à l'extérieur. Il ressemble à une horde de chevaux au galop. Les hommes du saloon font silence. Le bruit s'approche et les hommes s'avancent vers la sortie, interdits. A peine ont-ils le temps de mettre un pied sur le perron qu'un troupeau de cochons dévale Gold city en furie. « C'est les cochons de Sergio ! » gueule le barman. Au delà des habitations vers le sud, le chasseur de prime aperçoit une fumée qui noircit le ciel rougeoyant. « Y'a l'feu à sa ferme ! » dit un des types. « C'est lui ! » lance le chasseur d prime avant de monter sur son cheval et partir au galop.

 

Western spaghetti avec du saucisson

Le chasseur de prime attache son cheval à un arbre mort bien avant d'arriver au domaine de Sergio puis il s'avance tous sens en alerte jusqu'à l'entrée. Le coin semble aussi abandonné que Gold City. Le soleil est bas sur l'horizon et dans moins d'une heure il fera nuit. Il sait qu'il doit faire vite mais il ne prendra aucun risque. Il dégaine son revolver et remarque bientôt les barrières ouvertes des parcs à bestiaux jonchés de quelques cadavres de cochons. Une vieille remorque sur le côté termine de se consumer. Il continue de s'avancer prudemment, scrutant le moindre mouvement et le moindre bruit. Soudain, il distingue un bruit dans la grange située trente mètres sur sa droite. Ça ressemble à un gémissement. Il se dit qu'il y a un blessé... peut-être Sergio. L'homme fait irruption d'un coup à l'intérieur du bâtiment, la rapidité et la surprise sont ses meilleurs atouts. Le grand dadais gémit sur le sol alors le chasseur de prime s'accroupit à ses côtés et lui chuchote « Ils sont où ? » « J'ai mal » « Dis-moi où ils sont et combien sont-ils. Plus vite je les aurai trouvé et plus vite tu sauveras ta peau ». « Ils sont plus là » « Combien ils étaient » insiste-t-il. « Trois… J'en ai vu trois ». « Bouge pas. Je vais chercher du secours… Et surtout pas un bruit ! ». L'homme ressort de la grange tout en réfléchissant. Ils pourraient être partis, c'est une possibilité, mais ils pourraient aussi être encore dans les parages. Il décide de faire le tour de la grange. Quelques instants plus tard il voit trois montures attachés près d'un abreuvoir. La maison de Sergio est vingt mètres plus loin…

Le Chinois n'a que peu d'intérêt pour les cochons. Avec sa bande il compte se rendre au sud, là où il n'y a qu'à se baisser pour ramasser l'or. Tout ce qu'il a pu faire depuis qu'il est sorti de prison n'est que divertissement. Mais il va bientôt passer aux choses sérieuses, c'est sûr. Pour l'heure dans ce ranch il a de quoi se restaurer tranquillement. Il ne pouvait pas trouver mieux. La nuit va tomber et il a décidé de repartir à l'aube. En attendant il compte bien profiter de cette grande maison et d'un lit douillet. « Le Mexicain, prépare-nous à dîner pendant que je vais chercher à boire. Et toi Snake va t'occuper des chevaux. Et traîne pas comme la dernière fois sinon il s'pourrait bien qu't'aies plus rien à boire » finit-il par dire en terminant d'un rire gras.

Snake sort de la baraque et voit qu'il manque un cheval… son cheval ! Du coup il se met à siffler. Où a-t-il pu passer, se demande-t-il. Il n'a pas envie de tergiverser et décide de s'occuper des deux autres montures. Son cheval ne doit pas être bien loin, il le cherchera après. Il détache les bêtes et va les mettre à l'abri dans la grange. Le grand dadais semble mort contre un ballot de paille et cela ne lui fait ni chaud, ni froid. Soudain il entend un couinement au fond du bâtiment. Encore un cochon qui traîne, pense-t-il. Les couinements s'accentuent alors Snake va voir ce qui se passe. Il contourne des ballots de paille et se fige en voyant son cheval chevauché par un porc qui porte un sombrero. Il n'a pas le temps de sortir de sa stupeur qu'un coup violent lui percute le crâne et il s'écroule comme une masse.

Le Mexicain cherche dans la cuisine de quoi préparer un repas. Il ouvre des placards mais ne trouve rien d'appétissant. Il doit bien y avoir du cochon à bouffer, se dit-il. Il cherche encore un moment mais à part un bout de pain sec, il n'y a rien. Il réfléchit et se souvient des cochons qu'il a tués tout à l'heure dans l'enclos. Il va aller découper un morceau et ça fera l'affaire, un bon morceau de porc grillé ! La nuit s'apprête à tomber et le Mexicain allume une lampe portative avant de sortir puis se dirige vers les enclos à l'entrée du domaine. Il passe devant la grange puis remarque une porte qu'il n'avait pas vue tout à l'heure. Il s'approche et lit « Labo ». Intrigué, il l'ouvre et entre. Il y a un escalier qu'il emprunte, en bas on dirait que c'est éclairé. Après avoir descendu une bonne dizaine de mètres un sourire vient s'insérer dans sa barbe. Il a trouvé la réserve de nourriture. Les étagères sont pleines de bocaux, de jambons, de saucisses, de saucissons et autres morceaux de porcs salés. Tout cela bien au frais. Le Mexicain sort son couteau et se coupe une tranche de jambon cru. Délicieux ! Au fond de cette réserve se trouve l'entrée d'une autre pièce séparée par un rideau. Il s'y engouffre en mâchouillant sa charcuterie. Des carcasses de porcs pendent du plafond, certaines sont découpées, d'autres sont encore intactes. Le Mexicain déambule puis s'arrête net, il avale le dernier morceau de jambon de travers et est près de s'étouffer. Ce n'est pas un cochon qui pendouille face à lui mais Snake bâillonné des pieds à la tête et une pancarte est accrochée à son cou : « saucisse fraîche ». Le Mexicain n'a pas le temps de réagir qu'il subit le même sort que son acolyte quelques instants plus tôt.

Le Chinois a repéré rapidement les bouteilles d'alcool dans une petite pièce au fond de la baraque. Il a toujours eu le flair pour ça. Il y en a bien une bonne centaine. Voyons voir... Mmh... du whisky irlandais, douze ans d'âge, des bouteilles de vin rouge d'Italie… Il en prend une qu'il ouvre aussitôt et en boit une bonne rasade. Pas mal du tout ce p'tit vin. Il continue à faire son petit tour… Encore du whisky, écossais cette fois. On s'embête pas. Il en coince une sous son bras puis boit une nouvelle gorgée. Encore des bouteilles de vin. Il vient de France celui-là. Le Chinois prend deux autres bouteilles par le goulot dans sa main libre. Ça fera l'affaire pour l'instant, puis il se dirige vers la cuisine. « Alors t'as trouvé de quoi faire un bon repas ? Sors les verres j'ai trouvé à boire ! ». Il est passé où ce con ? Se dit-il en découvrant la pièce vide. « Eh ! Mexicain ?  Où est-ce que t'es passé ? ». Il pose les bouteilles sur la table et s'assoit puis boit encore une bonne gorgée. Il fait suer ce con. « Oh ! Tu m'entends ? ». Son esprit divague vers les montagnes d'or qui l'attendent au sud. Ouaih, je serai le Chinois le plus riche de l'ouest. Un rot guttural le sort de sa torpeur. « Putain de Mexicain ! » Se met-il à brailler. Et Snake au fait, qu'est-ce qu'il fout ? J'vais encore être obligé de m'occuper de tout. Sur ces mots, il se lève et sort de la villa. « Eh ! Les gars j'ai trouvé à boire ! » gueule-t-il une fois sorti, puis il marche quelques mètres et attend.

« Si tu cherches tes gars, j'crois bien qu'ils font les andouilles parmi les cochons. ». Le Chinois qui regarde en direction de la grange pivote sa tête à gauche et fait face au chasseur de prime. « Si tu m'crois pas tu peux aller vérifier. » « T'es qui toi ? ». « Moi, j'suis celui qui vient chercher ses 3 000 dollars » « De quoi tu parles? J'te dois rien ! » « Je parle des 3 000 dollars que vaut ta tête. ». L'homme frotte une allumette contre une de ses bottes et porte la flammèche à son cigarillo. « Mais maintenant, avec tout le raffut que tu as fait ça devrait monter à 3 500. » termine-t-il avec un sourire au coin. Le Chinois le jauge puis sourit. « Ah, ah, ah ! Tu me fais marcher ? C'est ça ? ». L'homme dégaine son colt et répond : « Non ! C'est toi qui va marcher mais avant tu vas ôter délicatement ta ceinture ». « Bon, aller. T'énerve pas. Il y a assez à boire pour mes hommes et toi ». Un coup de feu adroitement tiré par le chasseur de prime fait voler le chapeau du Chinois à quinze mètres. Ce dernier comprend soudainement que ce n'est pas de la rigolade, du coup il obtempère tout en marmonnant. « Et pas de bêtises. J'empocherai l'argent que tu sois vivant… » Il n'a pas le temps de terminer sa phrase qu'un râle venant de la grange le distrait. Le grand dadais rampe juste à l'entrée. Le Chinois en profite pour dégainer son arme. Un coup de feu retentit et il s'affale. « … ou pas. » poursuit l'homme en rengainant son colt. « C'est toi qui choisis. »

L'histoire se termine. Comme d'habitude le chasseur de prime a stoppé le mal. Il est reparti solitaire vers le sud, là où l'or a fait tourner la tête des hommes. Nul doute qu'il y aura du travail pour lui, les hors la loi n'ont qu'à bien se tenir.


 

Gerry Galtier, octobre 2017

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